Je plains le temps de ma jeunesse - François Villon - [V]
Je plains le temps de ma jeunesse [V]
Laissons le moutier où il est ;
Parlons de chose plus plaisante :
Cette matière à tous ne plaît,
Ennuyeuse est et déplaisante.
Pauvreté, chagrine, dolente,
Toujours, dépiteuse et rebelle,
Dit quelque parole cuisante ;
S’elle n’ose, si la pense elle.
Pauvre je suis de ma jeunesse,
De pauvre et de petite extrace ;
Mon père n’eut onc grand richesse,
Ni son aïeul nommé Horace ;
Pauvreté tous nous suit et trace.
Sur les tombeaux de mes ancêtres,
Les âmes desquels Dieu embrasse !
On n’y voit couronnes ni sceptres.
De pauvreté me guermantant,
Souventes fois me dit le coeur :
« Homme, ne te doulouse tant
Et ne démène tel douleur :
Si tu n’as tant qu’eut Jacques Cœur,
Mieux vaux vivre sous gros bureau
Pauvre, qu’avoir été seigneur
Et pourrir sous riche tombeau. »
François VILLON
(1431-1463)
(1489)
[Le Testament]