Guitare - Tristan Corbière
Guitare
Je sais rouler une amourette
En cigarette,
Je sais rouler l’or et les plats !
Et les filles dans de beaux draps !
Ne crains pas de longueurs fidèles :
Pour mules mes pieds ont des ailes ;
Voleur de nuit, hibou d’amour,
M’envole au jour.
Connais-tu Psyché ? - Non ? - Mercure ?...
Cendrillon et son aventure ?
- Non ? - ... Eh bien ! tout cela, c’est moi :
Nul ne me voit.
Et je te laisserais bien fraîche
Comme un petit Jésus en crèche,
Avant le rayon indiscret...
- Je suis si laid ! -
Je sais flamber en cigarette,
Une amourette,
Chiffonner et flamber les draps,
Mettre les filles dans les plats !
Tristan CORBIÈRE
(1845-1875)
(1873)
[Les Amours jaunes]
"Bohème de l’Océan - picaresque et falot - cassant, concis, cinglant le vers à la cravache - strident comme le cri des mouettes et comme elles jamais las - sans esthétisme - pas de la poésie et pas du vers, à peine de la littérature - sensuel, il ne montre jamais la chair - voyou et byronien - toujours le mot net - il n’est un autre artiste en vers plus dégagé que lui du langage poétique - il a un métier sans intérêt plastique - l’intérêt, l’effet est dans le cinglé, la pointe-sèche, le calembour, la fringance, le haché romantique - il veut être indéfinissable, incatalogable, pas être aimé, pas être haï ; bref, déclassé de toutes les latitudes, de toutes les mœurs, en deçà et au-delà des Pyrénées."
Jules LAFORGUE
Notes