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CLOPIN - CLOPANT
24 août 2007

C'était bien - Jean d'Ormesson - [Livre]

Jean d’ORMESSON / C’ÉTAIT BIEN / Gallimard / 2003

Commencer l’année avec un livre de Jean d’ORMESSON, c’est comme faire sauter le bouchon d’un champagne “Grand Siècle” en regardant à la télévision la traditionnelle retransmission du concert donné par la philharmonie de Vienne dans la célèbre salle d’or du Musikverein. Voici un homme, en effet, pour qui la vie chanta, avant qu’il ne la danse. « Enfant des chasses à courre et des bibliothèques », il semble prolonger par sa naissance et par son caractère, qui ne manque ni de facilités, ni d’élégance, ni de tours ingénieux, une façon de vivre en voie de disparition. Sorti à reculons de l’enfance par la porte de la Rue d’Ulm, sans avoir connu d’autre malheur que le rhume des foins, il fit sienne une devise dont il ne savait pas encore qu’elle était celle de Gaston Gallimard : « Les bains de mer, les femmes, les livres », dans l’ordre, s’il vous plaît. Obligé à quelques occupations, Le Figaro fut sa salle à manger, l’Unesco son cabinet de curiosités, l’Académie sa villégiature, et toujours des îles bleues lui servent de bureau et de chambre à coucher. Ainsi passa sa vie, et qui dure encore, Dieu merci, « délicieuse, dans un monde plein de larmes ». Si j’en parle au passé, c’est à cause de l’imparfait de son titre goethéen, lancé pourtant comme un nouveau cri de bonheur : C’était bien. Cet imparfait a son importance. On éprouve un sentiment curieux, presque un étonnement, une stupéfaction, à débuter la lecture de son dernier ouvrage en se demandant comment diable il fait pour parler de lui à l’imparfait, temps du passé qui a duré et qui est définitivement révolu. Comment parvient-il à conserver cette distance souveraine face à la mort et au passé ? Son ombre donne du prix à l’éphémère, de la pulpe à l’action de grâces, elle rappelle que tout est fini. Il n’empêche pas l’auteur de s’ébrouer avec une simplicité de voluptueux qui fait défiler, en accéléré, quelques épisodes de sa vie d’homme qui n’est pas un saint, et tourner une fois encore le manège des plaisirs et des songes. Fausses et vraies confidences, lucidité, photos de famille, souvenirs dominés par le passé, rites, départs, voyages, routes, autres rivages, soleils, cyprès, lumière du monde. Rien qui pèse ou qui pose dans ce nouvel opus : le testament de Jean d’ORMESSON tient en 250 pages, les chapitres sont nombreux, courts et enlevés. Mais miracle, tout est dit, tout se tient. Les souvenirs y sont délicatement égrenés : l’enfance, bien sûr, le côté du père, de la mère, la société des hommes, brutale et injuste, la lecture réconfortante des bons livres avec Sénèque, Montaigne, Saint-Simon, Proust et puis les femmes, le grand reposoir. Il va sans dire que les mémoires de Jean d’ORMESSON sont pétries de délicatesse, d’intelligence et de mesure. On l’imagine écrire comme un oiseau qui prend son envol. Léger, léger. Et devenir lui-même la matière de son livre. Sec et intelligent, ce drôle de moineau ne porte pas son ego en bandoulière comme tant d’autres, mais sous ses pieds ; comme un danseur qui prendrait appel pour mieux s’élancer. Car, s’il existe une part d’abandon dans cette confession sans aveu, c’est quand l’auteur s’isole avec ses livres (et avec ses questions, ses enfantillages, ses doutes, son détachement, tout ce qu’il appelle son « indifférence passionnées ») ; et tant pis, alors, si la beauté du monde continue de tourner follement autour de lui.  « J’ai grandi à l’ombre d’Homère », écrit-il, et l’on pense à ce que disait de Pélisson l’abbé de Fénelon en 1693 : « Dès son enfance, il apprit d’Homère (…) à mettre dans les moindres peintures et de la vie et de la grâce ». Ainsi naissent les vocations et les grandes ambitions. Aucune ne va sans souffrance. Jean d’ORMESSON découvre qu’il y a pis que le rhume des foins, quand Homère et la gloire littéraire commencent à vous monter à la tête. « Les livres me faisaient souffrir. Les miens et ceux des autres. Ceux des autres parce qu’ils étaient trop bons. Les miens parce qu’ils ne l’étaient pas assez. Ah ! les flammes de l’enfer. Je feuilletais sans fin Le Paysan de Paris, d’Aragon, Le Soleil se lève aussi, d’Hemingway, ou Paludes, de Gide. » Il y a d’autres choses encore dans ce livre écrit sur des feuillets d’éphémérides : l’incursion dans le monde de la métaphysique avec des sauts dans la galaxie et la béance des trous noirs accommodés à la désinvolture et au détachement “ormessonienne”. Des plans de l’univers, des éclats de rire, des spéculations sur la mort du Soleil, dans cinq milliards d’années, quelques détails sur des refuges secrets, des particules qui valsent, un peu du tourbillon de l’univers, des voitures qui roulent vers la mer, la chute de la maison France en 1940, la fierté de l’auteur d’avoir vomi d’un même jet Staline et Hitler, son effroi devant le pas de l’Histoire, son gaullisme aussi, quelques lignes d’une merveilleuse supplique, une attention augustinienne et légère à l’éternité du temps. Et, toujours, l’ombre de cet imparfait, l’impression douce-amère que les jeux sont faits, que la fête tire déjà à sa fin, une gravité. Jean d’ORMESSON cherche son visage sur le fleuve du temps. Quelques remous agitent la surface des eaux. Il y voit de nouveaux rêves et sourit. L’enfant des chasses à courre et des bibliothèques n’a pas changé, mais le talent et le charme l’habillent en grande personne. Avec un savant dosage de mélancolie et d’enjouement, de conviction et de détachement, d’érudition et de rigolade, à travers ce livre-testament qui est un merveilleux cocktail d’humanité, Jean d’ORMESSON nous annonce qu’il nous quitte et nous prie de nous souvenir d’apprendre enfin à vivre. Sa morale de vie pourrait tenir en trois mots : c’était bien.
Muze15

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Commentaires
S
J'ai lu et relu ce livre en plusieurs fois et dans des périodes éloignées....J'avais l'impression de le découvrir à chaque fois : j'y trouvais des choses qui m'avaient échappées .
H
Avis aux amateurs de Jean D'Ormesson, il sera l'invité de Laurent Ruquier Mercredi 10 octobre 2007 dans l'émission "On n'a pas tout dit".<br /> <br /> Pour assister gratuitement à l'émission, vous pouvez appeler le 01.41.11.11.11. ou vous inscrire directement sur notre site www.claponline.com.<br /> <br /> Merci de faire circuler l'info sur le net.<br /> <br /> Cordialement, <br /> <br /> Harold (Clap Production)
"
"C'était bien !" <br /> <br /> Pourquoi garder ces choses qui nous ont fait du mal, qui nous ont tirés vers le bas; pourquoi continuer jour après jour, à ressasser les mauvais moments ? Pourquoi ? ça ne sert à rien, quelle perte de temps ! En effet, pour vivre, avancer, faut-il se rappeler uniquement du "BON", des joies, des petits bonheurs fragiles, éphémères, mais si réconfortants. Ceux qui nous donnent cette joie de vivre... Je suis tout à fait, d'accord, n'ayant pas encore parcouru son livre; Vivons Vrai, Vivons Fort.
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  • Plutôt un "carnet" de vie qu'un journal intime! Pépites de lectures, trésors de musique, magie des mots, "tsunami" de sensations, de découvertes, de pistes de réflexion pour mieux cheminer dans ce monde cruel et érodant.
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