Sur l'Hélène de Gustave Moreau… - Jules Laforgue
Sur l'Hélène de Gustave Moreau…
Frêle sous ses bijoux, à pas lents, et sans voir
Tous ces beaux héros morts, dont pleurent les fiancées,
Devant l'horizon vaste ainsi que ses pensées,
Hélène vient songer dans la douceur du soir.
« Qui donc es-tu, Toi qui sèmes le désespoir? »
Lui râlent les mourants fauchés là par brassées,
Et la fleur qui se fane à ses lèvres glacées
Lui dit : Qui donc es-tu ? de sa voix d'encensoir.
Hélène cependant parcourt d'un regard morne
La mer, et les cités, et les plaines sans borne,
Et prie : « Oh! c'est assez, Nature! reprends-moi!
Entends ! Quel long sanglot vers nos Lois éternelles! »
- Puis, comme elle frissonne en ses noires dentelles,
Lente, elle redescend, craignant de « prendre froid ».
Jules LAFORGUE
(1885)
[Les Complaintes]