La musique - Charles Baudelaire
La musique
La musique souvent me prend comme une mer!
Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
Je mets à la voile;
La poitrine en avant et les poumons gonflés
Comme de la toile
J'escalade le dos des flots amoncelés
Que la nuit me voile;
Je sens vibrer en moi toutes les passions
D'un vaisseau qui souffre;
Le bon vent, la tempête et ses convulsions
Sur l'immense gouffre
Me bercent. D'autres fois, calme plat, grand miroir
De mon désespoir!
Charles BAUDELAIRE
[Les Fleurs du mal]
Les poètes entretiennent souvent une relation fructueuse avec les autres arts. Le recueil Les Fleurs du Mal (1856) témoigne de cette osmose ; Baudelaire célèbre la peinture dans « Les Fleurs », évoque la sculpture dans « La Beauté », et dans « La Musique » il nous fait part de la façon dont, ordinairement, il ressent l'audition d'un morceau de musique, que nous pourrions par exemple attribué à Richard Wagner qui a souvent suscité son admiration. Pour nous permettre d'entrer dans sa sensation auditive, Baudelaire recourt à une vaste métaphore qui structure le texte, le voyage maritime, qui sert à évoquer les états d'âme contrastés du poète.