Retour du religieux ? - Muze15 - [II]
Retour du religieux ?
[II]
En fait de fin de l’Histoire, il s’agit de l’extinction des
messianismes spirituel et temporel. Le double reflux du politique et du
religieux compose le paysage d’un monde vidé de grandes espérances,
dans lequel la gauche a du mal à retrouver ses repères. La droite a un
refuge naturel dans le pragmatisme, la gauche est condamnée à proposer
un avenir, nécessité quant à son propre avenir. La tâche est difficile.
Donc ce que l’on appelle, un peu vite, le « retour du religieux » n’est
jamais qu’un expédient pour pallier l’effondrement des liens verticaux,
l’affaiblissement de la transcendance. Ce prétendu « retour du
religieux » se manifeste de deux façons qu’il faut se garder de
confondre l’une et l’autre avec une restauration de l’ancienne autorité
de la religion. D’une part, il se joue chez les individus. Ils vont
chercher dans les spiritualités disponibles dans l’histoire des
religions, des morales, des philosophies, les orientations que
l’histoire et la société ne sont plus en mesure de leur apporter. Ils
bricolent des réponses personnelles avec les différentes traditions et
les grands textes du passé. C’est une démarche typique de
l’individualisme contemporain. Elle est aux antipodes de la soumission
à un quelconque magistère. Mais il y a aussi, d'autre part, un retour
du religieux dans la conscience publique qui n’implique pas la
croyance, c’est sa spécificité.
Si l’Etat est neutre, religieusement, il reconnaît dans la société les
traditions spirituelles et les familles porteuses de réponses à ces
questions dernières auxquelles il ne peut, lui, répondre. Il les
reconnaît dans leur pluralisme, en ayant à rester soigneusement neutre
à leur égard. Les citoyens montrent de la même façon une tolérance
intéressée vis-à-vis de ces diverses affres spirituelles ou morales, à
condition qu’elles soient respectueuses de la liberté des consciences.
L’affaiblissement de la religion dans sa définition traditionnelle
donne, de la sorte, une visibilité nouvelle au religieux. Mais il ne
faut pas se tromper sur le sens de ce « retour au religieux » sur la
scène publique. Il n’implique pas l’adhésion. On peut être très
respectueux du dalaï-lama et le trouver hautement sympathique, on peut
avoir la plus grande admiration pour le Pape et la rigueur de ses
engagements, sans avoir l’idée de rallier la communauté des croyants
bouddhistes ou catholiques.
Le regain de la religiosité dans les pays les plus riches laisse la
place à un fondamentalisme dans le Sud pauvre qui occupe la place
vacante des métaphysiques. Dans les pays les plus pauvres, la religion
subsiste en revanche dans sa forme traditionnelle et semble même
connaître un regain important. Les années 70 ont entièrement défait les
religions politiques fondées sur la transformation sociale et dont
l’ambition était de résoudre l’énigme de l’histoire et de la condition
humaine. En Europe ou en Amérique, le reflux des passions
révolutionnaires n’a pas été vécu sur un mode dramatique. Elles ont
simplement passé de mode, et ont cessé d’enthousiasmer la jeunesse,
sans pour autant laisser derrière elles autre chose que de la
nostalgie. Mais dans les pays du tiers-monde, cet effondrement de la
science de l’avenir a été ressenti d’une manière autrement plus,
douloureuse. Pour ces pays en développement qui essayaient d’assurer
leur décollage à l’aide d’un marxisme eschatologique, la déconfiture
des utopies socialistes a été un choc terrible. Il fallait trouver
d’urgence un moyen de cohésion identitaire et communautaire si le
progrès économique échouait à l’apporter. Il n’y avait pas d’autre
candidat que la religion.
La dissolution du marxisme dans l’intégrisme date de la révolution
iranienne où le reveil religieux du tiers-monde a fait sa grande
irruption. On assiste depuis à une diffusion de cette démarche de
réappropriation du passé religieux. Elle est un effet direct de la
crise de l’avenir. Elle emprunte des aspects très variés, en fait, même
si, comme il est normal, nous retenons surtout les aspects
fondamentalistes intégristes ou radicaux.
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