Le verger des tentations - Émile Zola
Le verger des tentations
Des pruniers vénérables, tout chenus de mousse,
grandissaient encore pour aller boire l’ardent soleil,
sans qu’une seule de leurs feuilles pâlit.
Des cerisiers bâtissaient des villes entières,
des maisons à plusieurs étages, jetant des escaliers,
établissant des planchers de branches, larges à y loger dix familles.
Puis, c’étaient des pommiers, les reins cassés,
les membres contournés, comme de grands infirmes,
la peau racheuse, maculée de rouille verte ; des poiriers lisses,
dressant une mâture de hautes tiges minces, immense,
semblable à l’échappée d’un port, rayant l’horizon de barres brunes ;
des pêchers rosâtres, se faisant faire place dans l’écrasement
de leurs voisins, par un rire aimable et une poussée lente
de belles filles égarées au milieu d’une foule.
Émile ZOLA
[La Faute de l’abbé Mouret – 1875]