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CLOPIN - CLOPANT
16 juin 2012

L'amour à Paris - Théodore de Banville [I]

L'amour à Paris

 

Fille du grand Daumier ou du sublime Cham,

Toi qui portes du reps et du madapolam,

O Muse de Paris ! toi par qui l'on admire

Les peignoirs érudits qui naissent chez Palmyre,

Toi pour qui notre siècle inventa les corsets

A la minute, amour du puff et du succès !

Toi qui chez la comtesse et chez la chambrière

Colportes Marivaux retouché par Barrière,

Précieuse Évohé ! chante, après Gavarni,

L'amour et la constance en brodequin verni.

Dans ces pays lointains situés à dix lieues,

Où l'Oise dans la Seine épanche ses eaux bleues,

Parmi ces Saharas récemment découverts,

Quand l'indigène ému voit passer dans nos vers

Ces mots déjà caducs : rat, grisette ou lorette,

Il se cabre, on l'entend fredonner: Turlurette !

Et, l'œil dans le ciel bleu, ce naturel naïf

Évacue un sonnet imité de Baïf.

Il voit dans le verger qu'il eut en patrimoine

Tourbillonner en chœur les cauchemars d'Antoine ;

Le voilà frémissant et rouge comme un coq ;

Il rêve, il doute, il songe, et tout son Paul de Kock

Lui revient en mémoire, et, pendant trois semaines,

Fait partir à ses yeux des chandelles romaines

Et dans son cœur troublé met tout en désarroi,

Comme un feu d'artifice à la fête du roi.

La grisette ! Il revoit la petite fenêtre.

Les rayons souriants du jour qui vient de naître,

A leur premier réveil, comme un cadre enchanteur,

Dorent les liserons et les pois de senteur.

Une tête charmante, un ange, une vignette

De ce gai reposoir agace la lorgnette.

En voyant de la rue un rire triomphant

Ouvrir des dents de perle, on dirait qu'un enfant

Ou quelque sylphe, épris de leurs touffes écloses,

A fait choir, en jouant, du lait parmi les roses.

Elle va se lacer en chantant sa chanson,

Lisette ou L'Andalouse ou bien Mimi Pinson,

Puis tendre son bas blanc sur sa jambe plus blanche ;

Les plis du frais jupon vont embrasser sa hanche

Et cacher cent trésors, et du cachot de grès

La naïade aux yeux bleus glissera sans regrets

Sur sa folle poitrine et sur son col, que baigne

Un doux or délivré des morsures du peigne.

Ce poème fini, dans un grossier réseau

Elle va becqueter son déjeuner d'oiseau,

Puis, son ouvrage en main, sur sa chaise de paille,

La folle va laisser, tandis qu'elle travaille,

L'aiguille aux dents d'acier mordre ses petits doigts

Et, comme un frais méandre égaré dans les bois,

Elle entrelacera, modeste poésie,

Les fleurs de son caprice et de sa fantaisie.

C'est ce que l'on appelle une brodeuse. Hélas !

Depuis qu'en ses romans, faits pour le doux Hylas,

Paul de Kock embellit, d'une main paternelle,

Cette fleur d'amourette en soulier de prunelle,

Combien ces frais croquis, plus faux que des jetons,

Ont fait dans notre ciel errer de Phaétons !

La grisette, doux rêve ! Elle avait ses apôtres,

Balzac et Gavarni mentaient comme les autres ;

Mais, un jour, Roqueplan, s'étant mis à l'affût,

Dit un mot de génie, et la Lorette fut !

 

 

[…]

 

Théodore de BANVILLE

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  • Plutôt un "carnet" de vie qu'un journal intime! Pépites de lectures, trésors de musique, magie des mots, "tsunami" de sensations, de découvertes, de pistes de réflexion pour mieux cheminer dans ce monde cruel et érodant.
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