La folie - Émile Verhaeren [I]
La folie
Routes de fer vers l'horizon :
Blocs de cendres, talus de schistes,
Où sur les bords un agneau triste
Broute les poils d'un vieux gazon ;
Départs brusques vers les banlieues,
Rails qui sonnent, signaux qui bougent,
Et tout à coup le passage des yeux
Crus et sanglants d'un convoi rouge ;
Appels stridents, ouragans noirs,
Pays de brasiers roux et d'usines tragiques,
Où sanglotent, quand vient le soir,
Toutes les voix du vent
Frappant, d'un contenu gémissement,
Les fils à l'infini des crins télégraphiques,
C'est parmi vous
Qui entourez les villes,
Que ' s'en viennent chercher asile
Les cerveaux éclatés des rêveurs et des fous.
Marqués chacun d'un signe,
Derrière un mur aveugle et sourd
De vieux faubourg,
Les cabanons s'alignent ;
Et la cité ardente et terrible, là-bas,
Qui les peuple de haut en bas,
Avec les yeux aigus de ces vitres hagarde
S'en inquiète et les regarde.
[…]
Émile VERHAEREN