Ma douce amour - Christine de Pisan
Ma douce amour
Ma douce amour, ma plaisance chérie,
Mon ami cher, tout ce que puis aimer,
Votre douceur m' de tous maux guérie.
En vérité, je vous peux proclamer
Fontaine dont tout bien me vient,
Qui en paix comme en joie me soutient
Et dont plaisirs m'arrivent à largesse,
Car vous tout seul me tenez à liesse.
L'âcre douleur qui en moi s'est nourrie
Si longuement d'avoir autant aimé,
Votre bonté l'a pleinement tarie.
Or je ne dois me plaindre ni blâmer
Cette Fortune qui devient
Favorable, si telle se maintient ;
Mais m'avez sur sa voie et adresse,
Car vous tout seul me tenez en liesse.
Ainsi l'Amour, par toute seigneurie,
A tel honneur m'a voulu réclamer,
Car dire puis, sans nulle flatterie,
Qu'il n'est meilleur même en deça des mers
Que vous, m'amour, ainsi le tient
Pour vrai mon cœur qui tout à vous se tient
Et vers rien d'autre son penser ne dresse,
Car vous tout seul me tenez en liesse.
Christine de PISAN
(1364-vers 1430)
[Cent ballades d’amant et d’amie]
Née à Venise, elle réside bientôt à Paris où son père est conseiller de Charles V. Il la marie à Estienne du Castel qui lui donne dix ans de bonheur. Veuve érudite, elle est la première femme à vivre de sa plume et notre première féministe : douze livres en prose, près de quatre cents poèmes. À ses exercices d'amour courtois, on peut préférer les simples cris d'une femme lésée par l'absence.