Suzanne - André Chénier
Suzanne
Je
dirai l'innocence en butte à l'imposture,
Et le pouvoir
inique, et la vieillesse impure,
L'enfance
auguste et sage, et Dieu, dans ses bienfaits,
Qui daigne la
choisir pour venger les forfaits.
Ô fille du Très-Haut,
organe du génie,
Voix sublime
et touchante, immortelle harmonie,
Toi qui fais
retentir les saints échos du ciel
D'hymnes que
vont chanter, près du trône éternel,
Les jeunes séraphins
aux ailes enflammées ;
Toi qui vins
sur la terre aux vallons Idumées
Répéter la
tendresse et les transports si doux
De la belle
d'Égypte et du royal époux ;
Et qui, plus
fière, aux bords où la Tamise gronde,
As, depuis,
fait entendre et l'enfance du monde,
Et le chaos
antique, et les anges pervers,
Et les vagues
de feu roulant dans les enfers,
Et des
premiers humains les chastes hyménées,
Et les
douceurs d'Éden sitôt abandonnées,
Viens ; coule
sur ma bouche et descends dans mon cœur.
Mets sur ma
langue un peu de ce miel séducteur
Qu'en des
vers tout trempés d'une amoureuse ivresse
Versait du
sage roi la langue enchanteresse ;
Un peu de ces
discours grands, profonds comme toi,
Paroles de délice
ou paroles d'effroi
Aux lèvres de
Milton incessamment écloses,
Grand aveugle
dont l'âme a su voir tant de choses !...
André
CHÉNIER
[CHANT
I]