[…] Un soir favorisé de colombes […] - Paul Valéry
... Un soir
favorisé de colombes sublimes,
La pucelle doucement se peigne au
soleil.
Aux nénuphars de l’onde elle donne un
orteil
Ultime, et pour tiédir ses froides
mains errantes
Parfois trempe au couchant leurs
roses transparentes.
Tantôt, si d’une ondée innocente, sa
peau
Frissonne, c’est le dire absurde d’un
pipeau,
Flûte dont le coupable aux dents de
pierrerie
Tire un futile vent d’ombre et de rêverie
Par l’occulte baiser qu’il risque
sous les fleurs.
Mais presque indifférente aux feintes
de ces pleurs,
Ni se se divinisant par aucune parole
De rose, elle démêle une lourde auréole
;
Et tirant de sa nuque un plaisir qui
la tord,
Ses poings délicieux pressent la
touffe d’or
Dont la lumière coule entre ses
doigts limpides !
... Une feuille meurt sur ses épaules
humides,
Une goutte tombe de la flûte sur l’eau,
Et le pied pur s’épeure comme un bel
oiseau
Ivre d’ombre...
Paul VALÉRY