Nocturne parisien - Paul Verlaine [4]
Nocturne parisien
Tout bruit
s'apaise autour. A peine un vague son
Dit que la ville est là qui chante sa
chanson,
Qui lèche ses tyrans et qui mord ses
victimes;
Et c'est l'aube des vols, des amours
et des crimes.
- Puis, tout à coup, ainsi qu'un
ténor effaré
Lançant dans l'air bruni son cri
désespéré,
Son cri qui se lamente et se
prolonge, et crie,
Eclate en quelque coin l'orgue de
Barbarie:
Il brame un de ces airs, romances ou
polkas,
Qu'enfants nous tapotions sur nos
harmonicas
Et qui font, lents ou vifs,
réjouissants ou tristes,
Vibrer l'âme aux proscrits, aux
femmes, aux artistes.
C'est écorché, c'est faux, c'est
horrible, c'est dur,
Et donnerait la fièvre à Rossini,
pour sûr;
Ces rires sont traînés, ces plaintes
sont hachées;
Sur une clef de sol impossible
juchées,
Les notes ont un rhume et les do sont
des la,
Mais qu'importe! l'on pleure en
entendant cela !
Mais l'esprit, transporté dans le
pays des rêves,
Sent à ces vieux accords couler en
lui des sèves;
La pitié monte au coeur et les larmes
aux yeux,
Et l'on voudrait pouvoir goûter la
paix des cieux,
Et dans une harmonie étrange et
fantastique
Qui tient de la musique et tient de
la plastique,
L'âme, les inondant de lumière et de
chant,
Mêle les sons de l'orgue aux rayons
du couchant !
[…]