La fille qui n’a point d’ami - Christine de Pisan
La fille qui n’a point d’ami
La fille qui n’a point d’ami
A qui dira-t-elle sa peine,
La fille qui n’a point d’amis ?
La fille qui n’a point d’ami,
Comment vit-elle ?
Elle ne dort jour ni demi
Mais toujours veille.
Ce fait amour qui la réveille
Et qui la garde de dormir.
A qui dit-elle sa pensée,
La fille qui n’a point d’amis ?
Il y en a bien qui en ont deux,
Deux, trois ou quatre,
Mais je n’en ai pas un tout seul
Pour moi ébattre.
Hélas ! mon joli temps se passe,
Mon téton commence à mollir.
A qui dit-elle sa pensée,
La fille qui n’a point d’amis ?
J’ai le vouloir si très humain
Et tel courage
Que plus tôt anuit que demain
En mon jeune âge
J’aimerais mieux mourir de rage
Que de vivre en un tel ennui.
A qui dit-elle sa pensée,
La fille qui n’a point d’amis ?
Christine de PISAN
(1364-vers 1430)
Née à Venise,
Christine de Pisan réside bientôt à Paris où son père est conseiller de Charles
V, veuve et démunie à 26 ans, elle se résout à travailler pour nourrir ses
enfants. Elle est ainsi la première femme de lettres française à vivre de sa
plume. Érudite, elle composa des traités de politique, de philosophie et des
recueils de poésies (12 livres en prose, près de 400 poèmes). On lui doit,
entre autres, Cent ballades d’amant et de dame et La Cité des dames.
Parallèlement, elle s’engage dans un combat en faveur des femmes et notamment
de leur
représentation dans
la littérature.