Après la bataille - Victor Hugo
Après
la bataille
Mon
père, ce héros au sourire si doux,
Suivi
d'un seul housard qu'il aimait entre tous
Pour
sa grande bravoure et pour sa haute taille,
Parcourait
à cheval, le soir d'une bataille,
Le
champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.
Il
lui sembla dans l'ombre entendre un faible bruit :
C'était
un Espagnol de l'armée en déroute,
Qui
se traînait, sanglant, sur le bord de la route,
Râlant,
brisé, livide et mort plus qu'à moitié,
Et
qui disait : "À boire ! à boire ! par pitié !"
Mon
père, ému, tendit à son housard fidèle
Une
gourde de rhum qui pendait à sa selle,
Et
dit : "Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé !"
Tout
à coup, au moment où le housard baissé
Se
penchait vers lui, l'homme, une espèce de Maure,
Saisit
un pistolet qu'il étreignait encore,
Et
vise au front mon père, en criant : Caramba !
Le
coup passa si près que le chapeau tomba,
Et
que le cheval fit un écart en arrière.
"Donne-lui
tout de même à boire", dit mon père.
Victor
HUGO