Paris et la Seine - Paul Verlaine
Paris
et la Seine
Toi,
Seine, tu n'as rien. Deux quais, et voilà tout,
Deux
quais crasseux, semés de l'un à l'autre bout
D'affreux
bouquins moisis et d'une foule insigne
Qui
fait dans l'eau des ronds et qui pêche à la ligne
Oui,
mais quand vient le soir, raréfiant enfin
Les
passants alourdis de sommeil et de faim,
Et
que le couchant met au ciel des taches rouges,
Qu'il
fait bon aux rêveurs descendre de leurs bouges
Et,
s'accoudant au pont de la Cité, devant
Notre-Dame,
songer, cœur et cheveux au vent !
Les
nuages, chassés par la brise nocturne,
Courent,
cuivreux et roux, dans l'azur taciturne;
Sur
la tête d'un roi du portail, le soleil,
Au
moment de mourir, pose un baiser vermeil.
L'hirondelle
s'enfuit à l'approche de l'ombre
Et
l'on voit voleter la chauve-souris sombre.
Tout
bruit s'apaise autour. A peine un vague son
Dit
que la ville est là qui chante sa chanson.
Paul
VERLAINE