La Loge grillée - Étienne de Jouy
La Loge grillée
Au bruit d'une fade musique,
Qu'attristait des vers langoureux,
Hier à l'Opéra-Comique
Je bâillais comme un bienheureux ;
Un voisin me tira de peine,
Et, grâce à lui, je distinguai
Dans une loge d'avant-scène
Un spectacle beaucoup plus gai.
Malgré l'obstacle de la grille,
Je voyais un jeune homme assis
Près d'une femme, veuve ou fille,
Ce point me semblait indécis :
Mon voisin qu'une longue étude
Ne mettait jamais en défaut,
Jugea, d'après son attitude,
Qu'elle était femme ou peu s'en faut.
J'avais d'abord peine à comprendre
Comment à ces chants ennuyeux,
Cette belle paraissait prendre
Un intérêt prodigieux.
N'en cherchons pas plus loin la cause,
Me dis-je, dans tout ce fracas
Elle aura saisi quelque chose
Que le public n'aperçois pas.
Mais bientôt elle manifeste
De son cœur le trouble croissant :
Son maintien, son regard, son geste,
Expriment tout ce qu'elle sent.
Sur la grille, sa main posée,
Atteste, par son tremblement,
Que sa raison est maîtrisée
Par la force du sentiment.
De la musique sur notre âme,
Voyez quel différent effet !
De plaisir la dame se pâme
Dans un duo que l'on sifflait.
Mais tout lui plaisait, il me semble,
Car je fus encore plus surpris,
A la fin du morceau d'ensemble,
De l'entendre demander bis.
Je riais de sa folle ivresse,
Mais le voisin, grand connaisseur,
Interprétait avec finesse
Tous les mouvements de son coeur.
Le grille se baisse, la dame
Paraît dans toute sa splendeur.
- Ciel ! - Qu'avez-vous ?... C'était la femme
De mon voisin l'observateur.
Étienne de JOUY