Sonnet à M. Forget - Pierre de Ronsard
Sonnet à M. Forget
Secrétaire de la princesse Marguerite
Il vaudrait beaucoup mieux manger en sa maison
Du pain cuit en la cendre, et vivoter à peine,
Boire au creux de la main de l’eau d’une fontaine,
Que se rendre soi-même à la Cour en prison.
En la Cour où, Forget, rien ne se voit de bon
Que ta seule Maîtresse, en bonté souveraine ;
Les autres sont pipeurs, et pleins d’une foi vaine,
Ne retenant sans plus de vertus que le nom.
Encore un coup, Forget, je te dis que le pain
Cuit en la cendre et l’eau qu’on puise dans la main,
Sont plus doux que de boire en Cour de l’Ambroisie,
Ou manger du Nectar. Maudit est le métier
Qui nous acquiert du bien par une hypocrisie,
Et dont ne jouit point le troisième héritier.
Pierre de RONSARD
(1559)
[Second Livre des Mélanges]