Cuisson du pain - Émile Verhaeren
Cuisson du pain
Les servantes faisaient le pain pour les dimanches,
Avec le meilleur lait, avec le meilleur grain,
Le front courbé, le coude en pointe hors des manches,
La sueur les mouillant et coulant au pétrin.
Leurs mains, leurs doigts, leur corps entier fumait de hâte,
Leur gorge remuait dans les corsages pleins.
Leurs deux doigts monstrueux pataugeaient dans la pâte
Et la moulaient en ronds comme la chair des seins.
Le bois brûlé se fendillait en braises rouges
Et deux par deux, du bout d’une planche, les gouges
Dans le ventre des fours engouffraient les pains mous.
Et les flammes, par les gueules s’ouvrant passage,
Comme une meute énorme et chaude de chiens roux,
Sautaient en rugissant leur mordre le visage.
Émile VERHAEREN
(1855-1916)
(1883)
[Les Flamandes]
De tous les poètes d’aujourd’hui, narcisses penchés le long de la rivière, M. Verhaeren est le moins complaisant à se laisser admirer. Il est rude, violent, maladroit. Occupé depuis vingt ans à forger un outil étrange et magique, il demeure dans une caverne de la montagne, martelant les fers rougis, radieux des reflets du feu, auréolé d’étincelles.
Remy de GOURMONT
Le Livre des Masques
Un critique innommable note quelques-unes des fougueuses incorrections de Verhaeren, quelques-unes « entre cent autres ». C’est là, vers la faute, vers la tache, vers la plaie, que le médiocre, comme une mouche, vole avec certitude...
Remy de GOURMONT
On l’a parfois qualifié assez grotesquement de « Victor Hugo du Nord », soulignant de la sorte de façon un peu sommaire le caractère sonore de nombreuses pièces, leur allure flamboyante, échevelée, dénonciatrice - caractéristique que l’on a, souvent injustement, il faut le reconnaître, reprochées à Hugo, sans voir que la puissance expressive appelle naturellement des contrastes marqués...
Georges THINÈS