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CLOPIN - CLOPANT
5 novembre 2008

Elégie de la petite gare - Jacques Reda

Elégie de la petite gare

Même quand je serai plus vieux, ou si la mort me pince,
Je t'attendrai dans ces quartiers des gares de province
Qui sont identiques partout : des villas, des jardins
Avec des haricots, des lis et des tas de rondins
Autour de hangars dispersés dans la plate étendue
Où n'apparaît jamais au loin que la flèche perdue
De Sainte-Quelque-Chose dont le retable est fameux,
Ou souvent rien : le proche est nul, les lointains sont fumeux,
Le nom de la localité suppose une rivière,
Mais où coule-t-elle ? - le pont est sombre, ferroviaire,
Et par-delà des toits trop bleus, trop rouges, qu'y a-t-il
Sinon le même air à la fois inerte et volatil
Où le passant aventureux en un moment s'égare ?
De sorte qu'il vaut mieux rester au café de la gare
Sous un parasol jaune et vert, ou peut-être au buffet,
Devant les quais ou le soleil solitaire refait
Les cent pas entre deux poteaux de fer dont l'ombre dense
Tourne vers l'heure d'une improbable correspondance.

Oui, c'est là que je veux attendre. Et si tu ne viens pas,
Dans les traces du soir muet j'irai mettre mes pas.
Je l'accompagnerai le long des plates avenues
Qui cherchent le centre et n'y sont encore parvenues
Que par hasard après des virages et des détours
Par les ronds-points fleuris déroutants pour les carrefours
Où l'abribus toujours désert lui-même se résigne.
Un boulevard d'arbres chétifs retrouvera la ligne
Du chemin de fer, et j'aurai manqué le dernier train.
Alors j'attendrai de nouveau : demain, après-demain.
C'est très facile, dans ces lieux qui n'existent qu'à peine,
Pour quelqu'un qui n'existe plus, ou si peu. La semaine,
Les mois puis les ans passeront et, lorsque tu viendras,
Je sais qu'en transparence enfin tu me reconnaîtras.

Jacques REDA

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Commentaires
B
Toute la tristesse de l'entre-deux-monde !
F
C'est beau à pleurer, ce truc !!!
V
L'état de la poésie est tel, dans le monde et spécialement dans la langue française, qu'on a pu croire sans exagérer qu'elle était un phénomène pétimé,vestige pathétique d'un autre âge. Quant on lit un texte comme celui-ci, dont l'auteur est aux antipodes du "poète autoproclamé", on se prend à douter de son irrémédiable mort. Cela dit, si les larmes ne vous viennent pas aux yeux à la lecture de ce poignant appel masqué par les pudiques camouflages de l'humour, c'est qu'en effet, pour vous, c'en est fini à jamais de ce qui nous faisait si fragiles et si bouleversants, au point qu'on nous pouvait à l'occasion prendre pour des enfants (osant à l'occasion jouer au corsaire, afin de se donner à lui-même le change)
CLOPIN - CLOPANT
  • Plutôt un "carnet" de vie qu'un journal intime! Pépites de lectures, trésors de musique, magie des mots, "tsunami" de sensations, de découvertes, de pistes de réflexion pour mieux cheminer dans ce monde cruel et érodant.
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