Le plaisir du lundi - François Bégaudeau
Se servir le premier café de la journée
Au plaisir du café le café ne suffit pas. Il y faut aussi le matin, car si la jouissance est vespérale comme la frénésie, le plaisir est tendre et parcimonieux comme un geste d'aube. Or au plaisir du café le matin le matin ne suffit pas. Il y faut aussi un journal. Un quotidien qui atteste que ce matin est bien un autre jour. Réunis ces éléments, ce n'est pourtant pas encore une partie de plaisir. Il reste à trouver la configuration idéale pour à la fois lire et avaler le liquide noir en aspirant, slurp. Relever le journal en l'adossant au portable dressé sur la table du bar ? Oui mais souvent le téléphone se renverse et l'article s'affaisse. Le lisser à plat sur la table, à l'aplomb de votre regard ? Oui mais dès lors vous ne savez plus où poser la tasse. A côté, elle est trop loin ; sur le journal même, il faut la déplacer au de la lecture, et à force de la manipuler vous renversez la boisson vivifiante sur le papier imprimé dès lors illisible. Plus rien à boire, plus de journal, et pourtant la douceur persiste. A croire qu'elle tenait moins au café qu'à ce qu'il désigne par association sensitive : le nouveau jour en tant que tel, et le plaisir de : pas être mort.
François BEGAUDEAU