Autoportrait - Claude Berri - [Livre]

Claude BERRI / AUTOPORTRAIT / Leo Scheer / 2003

L'homme a sa légende : un apprenti fourreur du Sentier qui est devenu le parrain du cinéma français. L'artiste est considéré – du "Vieil homme et l'enfant" à "Tchao Pantin" – quant au producteur – "Astérix", … - il cartonne avec un flair infaillible. De plus, son air bougon, sa passion pour les femmes ou l'art contemporain, son allure d'errant à la Chagall sur un transat d'Eden-Roc ont achevé de lui faire une réputation flatteuse. Pourtant, c'est cet homme-là qui, soudain, craque et gémit dans un Autoportrait tracé à pointe sèche. Rien à voir avec la complaisance attachée au genre. C'est plutôt, un bloc de dépit, de noirceur, de douleur. À croire que le "syndrome Nourissier" [je me déteste, et je vais vous le dire avec talent] s'observe aussi dans le show-biz. Ce livre mêle donc un fatras d'oscars, de césars, de diabète, d'effrois. People et Prozac, fric et décadence, gloire et fêlures, tel est le dosage du cocktail qu'il propose. C'est terrible à chaque page. Et une vraie force porte ce long aveu de faiblesse. La forme de cet aveu ? Un vrac de journal intime, de mémoire, de jeunesse enfuie, de présent décomposé. On y voit, en noir et blanc, un petit Roumain du Faubourg Saint-Denis qui tresse ses manteaux en queue de vison sous l'œil d'un père digne des ghettos de Singer. On le suit dans sa frénésie de gloire, dans son ascension jusqu'en haut de l'affiche, dans la jungle des "professionnels de la profession". Il veut être comédien, il veut être le patron, "donner les cartes", et il y parvient, mais le pire, curieusement, l'escorte dans son sillage de paillettes. La démence d'une épouse – maniaco-dépressive, sans cesse hospitalisée, qui s'est suicidée en sautant du neuvième étage -, la mort d'un fils – toxicomane, tombé du balcon de l'hôtel Raphaël, devenu tétraplégique, qui s'est éteint d'un arrêt du cœur en février 2002 -, l'amitié qui le lie à quelques dingues géniaux (de Pialat à son beau-frère, le mythique Jean-Pierre Rassam) ont fini par détraquer, par décaler, ce qui aurait pu n'être qu'une ambition ordinaire. Et le voici dans ce livre chaotique, obsessionnel, mal fichu, et d'une rare puissance, qui titube entre ses souvenirs, une armada d'anxiolytiques, et le vain divan d'un psy. Bien sûr, le tycoon parle de Coluche ou de Michel Simon, d'Edith Piaf, de Montand ou de Truffaut, des premiers cachetons et des exquis pactoles – "il faut faire des films qui marchent pour acheter de la bonne peinture" – mais cette chronique n'est pas destinée aux amateurs de stars ou de success-stories. Avec ce Claude BERRI, on est sur le versant vénéneux de la vie avec une exploration rigoureuse des désastres intimes. Que de courage pour détailler ainsi ses paniques, son excès de sucre, sa sexualité désordonnée, son affinité avec le drame. À la fin, il y a tout de même l'amour d'une femme qui scintille. Après une overdose de sunlights, c'est à cette seule lueur qu'il peut encore avancer dans la nuit ! L'autobiographie du cinéaste et producteur aurait pu s'intituler "Petits Arrangements avec la mort", si Pascale Ferran n'en avait déjà fait un beau film consacré, sur une plage de Bretagne, au travail de deuil qui incombe aux survivants. Claude BERRI nous raconte tout cela sans hausser le ton, sans lamento, sans lyrisme funèbre, sans colère non plus. On n'est pas dans l'impudeur, on est au-delà, ailleurs. À l'époque de "Je vous aime", BERRI pensait que le cinéma avait la faculté de ressusciter les morts. Au seuil de ses 70 ans, il est convaincu que seule l'écriture a le pouvoir de rassembler le passé et de faire la paix avec ses fantômes. Il le prouve de manière bouleversante dans cet Autoportrait surexposé, en noir et blanc et en relief.
Muze15