Tous égaux face à la violence - Muze15
Tous égaux face à la violence …
Il faudrait n’en rien déduire.
L’homme qui a blessé d’un coup de couteau au ventre le maire de Paris
étant un déséquilibré, son geste n’aurait donc aucun sens. Ni celui
commis par cet autre déséquilibré qui a tiré sur le président de la
République le 14 juillet. Ni cette fusillade, le 27 mars 2002 à
Nanterre, où huit conseillers municipaux ont trouvé la mort,
mitraillés, là encore, par un déséquilibré. Pourquoi faudrait-il n’en
rien déduire ?
Relativiser ces trois actes sous le seul prétexte
qu’ils aient été accomplis par trois hommes forcément déséquilibrés –
un individu doué de raison ne tire pas sur ses concitoyens ni ne les
poignarde – est une manière dangereuse et aveugle de se rassurer. Ce
n’est pas l’état mental des agresseurs qui constitue le point commun
entre ces actes mais leur cible : des élus. Ils sont, de part leur
mandat, le mobile du crime.
La violence rattrape donc les
politiques. Il y a là une effrayante cohérence. La société française
étant victime d’une insécurité chronique, il est – pardon du mot – «
normal » que les politiques la subissent. En seraient-ils épargnés
qu’il faudrait leur faire reproche de mal accomplir leur mission, de
trop se protéger dans des bureaux sans fenêtres, coupés du monde et des
gens.
Les hommes politiques, et c’est le cas particulièrement des
maires, sont proches de leurs électeurs, vivent parmi eux pour bien les
connaître. Cette proximité est peut-être l’instrument de mesure qui
permet de calculer le degré d’authenticité d’une démocratie. Plus les
élus sont proches de leurs électeurs, plus cette démocratie est réelle
et vivante. L’éloignement des gens de pouvoir étant le fait des
dictatures. Dès lors, dès que la société se fait violente, les élus,
parce qu’ils sont en charge, exposés, visibles, prenant le risque de
déplaire, sont naturellement en première ligne. Leur courage est à
saluer. L’épreuve qu'a traversé Bertrand Delanoë, comme
avant lui Philippe Douste-Blazy, blessé en 1997 par un coup de couteau,
est partagée par d’autres hommes et d’autres femmes agressés dans leur
cité ou sur les trottoirs.
Il n’y a pas de victimes plus ou moins importantes selon leur position sociale ou leur statut. Elles sont toutes égales.
Quand
un élu est frappé, il s’agit certes d’un symbole fort qui témoigne de
l’état de dégradation d’une société où ceux qui sont en charge de la
représenter et de la conduire attirent sur eux la haine. Mais si cette
violence « extra-ordinaire » atteint les sommets du pouvoir, qu’il soit
municipal ou présidentiel, cela signifie qu’en dessous, tout en
dessous, dans les couches que l’on dit populaires, les gens, et parmi
eux les plus démunis, sont confrontés plus brutalement encore à cette
autre violence que la banalisation des choses habituelles qualifie
scandaleusement « d’ordinaire ». La violence n’a pas de qualificatif.
Elle est la même pour tous. En la subissant à leur tour, les élus vont
jusqu’au bout de leur mission : vivre ce que vivent les électeurs.
Jusque dans leur chair !