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CLOPIN - CLOPANT
19 août 2007

Spleen - Charles Baudelaire - [III]

Spleen (LXXVII)

Je suis comme le roi d'un pays pluvieux,
Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très vieux,
Qui, de ses précepteurs méprisant les courbettes,
S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres bêtes.
Rien ne peut l'égayer, ni gibier, ni faucon,
Ni son peuple mourant en face du balcon.
Du bouffon favori la grotesque ballade
Ne distrait plus le front de ce cruel malade ;
Son lit fleurdelisé se transforme en tombeau,
Et les dames d'atour, pour qui tout prince est beau,
Ne savent plus trouver d'impudique toilette
Pour tirer un souris de ce jeune squelette.
Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais pu
De son être extirper l'élément corrompu,
Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent,
Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent,
II n'a su réchauffer ce cadavre hébété
Où coule au lieu de sang l'eau verte du Léthé

Charles BAUDELAIRE
(1857)
[Les Fleurs du mal]

C'est le troisième des quatre spleens appartenant à la première partie "Spleen et Idéal" des Fleurs du mal de Charles Baudelaire publié en 1857. Ce poème commence par "Je" comme le spleen LXXVI, mais ici il n'y a aucune allusion à la vie de Baudelaire. Le poète en proie au spleen se définit, en dehors de toutes allusions à sa vie, à l'aide d'une vaste comparaison.

Les caractères habituels du spleen

    • L'ennui
Ici c'est le roi, c'est à dire le poète, qui s'ennuie si fort que rien ni personne ne peut l'y arracher.
Le roi n'a plus de désir incapable d'un sentiment quelconque; rien ne le distrait ni la chasse (v.5), ni le bouffon (v.7), pas même la misère de son peuple mourant (v.6); il s'ennuie, il est cruel (v.8). "L'ennui naît de l'absence de curiosité." écrit-il à sa mère. C'en est de même pour le roi. Sa cruauté n'est même pas volontaire, elle n'est que la conséquence de l'ennui à l'égard de tout.
    • Le poids du temps
Le roi est jeune est pourtant très vieux (v.2) comme si la jeunesse était impossible, comme si le temps ne pouvait signifier que vieillissement. Jeune squelette(v.2) donne une atmosphère archaïque, sans jeunesse, sans vie; de même le vocabulaire employé est archaïque: dame d'atour (v.10)(dames qui habillent la reine), le souris (v.12), roi médiéval qui chasse et qui a un bouffon, il y a les romains.
    • La pluie et le froid
Le roi est roi d'un pays pluvieux (empire du spleen). C'est un état qui dure on le retrouve au vers 17 avec le froid de la mort ; personne ne peut donner de la chaleur à l'être en proie au spleen.
    • La maladie et la mort
Le roi est un cruel malade (v.8), puis il devient un jeune squelette (v.12) et enfin un cadavre hébété (v.17); tous ces termes sont placés à la fin des vers. Le spleen va éroder, affaiblir et anéantir le moi. Le mot tombeau (v.9) est le centre du poème, de même le lit fleurdelisé symbolise la fleur royal mais aussi le tatouage des criminels.

L'anéantissement du moi

    • La comparaison fin/début
Elle souligne cet effacement du moi v.1: je suis v.18: Le Léthé (fleuve des enfers ou les âmes venaient boire pour oublier leur vie). On a le sentiment que le moi du poète s'est anéanti dans l'oubli; le moi est devenu une ombre dans l'enfer.
    • Des procédés d'écriture vont suggérer la disparition du Je
Le je est le comparé et le roi est le comparant, or dès le deuxième vers, et ce jusqu'à la fin, il n'est plus question que du roi donc du comparant. Le roi n'est plus désigné que par "son" (v. 6,9,14); par le pronom personnel l' (V.15) et lui (V.13) et par "ce cruel malade" (V.12,17,18) => Ces pronoms mettent à distance le roi. Le roi est désigné par une métonymie (V.6) le balcon dit l'absence du roi. Le roi est sujet dans les vers 3,4 passe à l'état d'objet ce qui amoindrit sa présence. Autant de procédés qui suggèrent l'effacement progressif du roi et donc du moi métaphorique du poète. Cet effacement est présenté comme fatal.

Un anéantissement fatal que rien ne peut enrayer

L'entourage du roi est impuissant à le sauver, il s'ennuie mais le bouffon bien que grotesque ne le distrait plus, les dames d'atour ne peuvent réveiller sa sensualité, l'alchimiste n'a pu le réchauffer par des bains de sang (rite funéraire des Etrusques). Les verbes pouvoir (v. 13) et savoir (v. 11,17) sont employés à la forme négative. Ils marquent cette impuissance; l'élément corrompu -le spleen- ne peut être extirpé.
La composition du poème met en place un parcours ordonné fatal qui mène nécessairement de l'affirmation du moi à son anéantissement.
18 vers// Je suis------------------>le tombeau--------------------->le Léthé
         Le roi(1-6)                  le bouffon / les dames                   le savant(13-18)
         s'ennuie                           (7-8) / d'atour(9-12)                  ne peut le ramener
                                                       V.9                                            à la vie
                                              ne peuvent le distraire
La rigueur de la composition mène à l'anéantissement du moi.
Une dernière progression dans le détail amène à l'anéantissement fatal du roi (=moi)
Ce cruel malade (v. 8) --- 4 vers ---> ce jeune squelette (v. 12) --- 4 vers ---> ce cadavre hébétée (v.16).

Dans les spleens précédents (LXXV et LXXVI), il y avait encore place pour le poète. Or ici il n'en est même plus question. Quant à l'être en proie, il n'est plus un granit, une chose (LXXVI), il n'est plus rien, le spleen a fait son œuvre.

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  • Plutôt un "carnet" de vie qu'un journal intime! Pépites de lectures, trésors de musique, magie des mots, "tsunami" de sensations, de découvertes, de pistes de réflexion pour mieux cheminer dans ce monde cruel et érodant.
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