Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
CLOPIN - CLOPANT
18 juillet 2007

Nevermore - Paul Verlaine

Nevermore

Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L'automne
Faisait voler la grive à travers l'air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise détonne.

Nous étions seul à seule et marchions en rêvant,
Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent.
Soudain, tournant vers moi son regard émouvant :
"Quel fut ton plus beau jour ? " fit sa voix d'or vivant,

Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.
Un sourire discret lui donna la réplique,
Et je baisai sa main blanche, dévotement.

— Ah ! les premières fleurs, qu'elles sont parfumées !
Et qu'il bruit avec un murmure charmant
Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées !

Paul VERLAINE
(1866)
[Poèmes saturniens - Melancholia, II]

Nevermore est le second poème de la section " Mélancholia " des poèmes saturniens. Il succède à " Résignation " dans lequel Verlaine avoue s'être plié au refus d'Elisa, une folie. Tout ce premier recueil est rempli de la douce Elisa, la sœur adoptive du poète, son premier amour qui repoussera ses avances, affectueusement mais fermement. La quatrième pièce " Vœu " la mentionnera presque explicitement. Verlaine nous précisera également ce qu'il attend d'une compagne, une présence quasi-maternelle.

Le souvenir obsessionnel d'Elisa
Le chagrin d'amour de Verlaine le laisse inconsolable "morne et seul". Malgré sa résolution d'accepter son sort, il ne peut échapper au souvenir d'Elisa, aux merveilleux moments passés en sa compagnie au cœur de l'automne. Dans le poème précédent " Trois ans après ", il a éprouvé le besoin comme Lamartine dans " Le lac " de revenir sur les lieux de fréquentés ensemble. Le poème s'articule comme une promenade sentimentale à rebours, mais enchâssée dans le présent. Il apostrophe sa mémoire "que me veux-tu" et s'interroge avec inquiétude. La tournure "que me voulez-vous" montre bien combien Verlaine a toujours eu peur de lui même même avant son séjour en prison, il se reconnaissait poltron et d'avoir peur de la nuit. On retrouve dans le premier quatrain l'influence de Baudelaire et des Fleurs du mal, un début du refus de suivre les jérémiades lamartiniennes ou autres. Mais s'il ne sait pas très bien s'il doit faire un deuil de sa liaison passée (Elisa s'est mariée entre-temps) et l'exorciser, il est clair qu'il prolonge le sillon ouvert par Baudelaire et ses correspondances entre les objets et paysages avec nos sentiments. Cet impressionnisme du sentiment associant sensation et sentiment n'aura été qu'un moment de grâce éphémère dans la poésie de Verlaine qui l'abandonnera pour verser dans l'allégorie, une image habillée de sens et non pas une image habillée de sens et d'affectivité.

Un amour platonique
La passion vécue par Verlaine a un aspect platonique fait d'émotions visuelles, auditives ou olfactives. Son chant d'amour est celui de l'oiseau au printemps, du baiser de main dévot, de l'offrande de fleurs. Le vocabulaire est familier "le plus beau jour de ta vie", "oui, je t'aime" et la passion a la chaleur classique du soleil. Comme chez les romantiques "les cheveux et les pensées sont soumises au vent", généralement du Nord comme toute la poésie verlainienne de brumes nordiques et de "bois jaunissants". Verlaine conserve de cet amour des impressions suaves et douces produites par "sa voix d'or vivant". Le trouble amoureux se manifeste par la reprise en début du premier tercet de la fin du second quatrain. Le caractère précieux de cette voix "d'or" se retrouve en écho dans son aspect "sonore", ce que soulignent la place de l'adjectif discret à la césure à l'hémistiche du vers 9 et la reprise de la sonorité or présente dès " Nevermore ". La répétition de "sa voix" renforce l'impression produite par le "timbre angélique " (vers 9).

Un poème pré-impressionniste
Verlaine se reconnaîtimpressionniste et ose espérer que le lecteur y reconnaîtra l'effort de la sensation rendue dans ce qu'elle a de plus délicat et de plus éphémère, l'impression. Bien avant " Romances sans paroles " ou se manifestera le mieux le caractère impressionniste du style verlainien, on retrouve dans " Nevermore " les bruits, indicateurs sonores "voix douce et sonore" et l'ambiance de parfums "les premières fleurs" et de couleurs "bois jaunissants". Verlaine utilise d'abord les plans larges et flous, le ciel, le bois pour faire ensuite un plan rapproché sur son personnage. Dans cette promenade amoureuse, il y a une juxtaposition d'impressions sonores, visuelles et olfactives parfois contrastées. L'effet sonore du "oui qui bruit avec un murmure chantant" rappelle la fidélité de Verlaine à ses principes, un musicien du vers et son recours permanent au vocabulaire musical.

Verlaine apparaît dans un de ses premiers poèmes avec sa sensualité, sa tendresse et sa mélancolie en évoquant un amour disparu et laisse entendre toute l'inquiétude romantique qui rappelle Nerval la seule étoile morte "porte le soleil noir de la mélancolie".

Publicité
Publicité
Commentaires
CLOPIN - CLOPANT
  • Plutôt un "carnet" de vie qu'un journal intime! Pépites de lectures, trésors de musique, magie des mots, "tsunami" de sensations, de découvertes, de pistes de réflexion pour mieux cheminer dans ce monde cruel et érodant.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité