Élégie IV - Emmanuel Hocquard
Élégie IV
MAINTENANT (ou moi) la cité
devint mon lieu et mon temps
La route descend à travers les arbres
j’ai vu passer un, puis trois,
quatre oiseaux gris
et le givre révéler sous l’herbe
(autre présage) les fours à bois abandonnés
alors
a ressurgi la vieille peur
avec la solitude
et ce 23 avril 1616
après quoi
NOUS perdions ma trace
dans la pierre
TU et tu as oublié
le temps qu’il faisait
si
c’était l’automne
ou déjà en hiver
et si tu es restée un bon moment
sur la terrasse
en train de reconstruire
du rêve que
tu avais rêvé la nuit d’avant
la part(ie) (dé)jà rongé(e)
comme
une vi(ei)lle(feuille) par terre
Emmanuel HOCQUARD
[Les Élégies]
Emmanuel Hocquard a exercé de nombreux métiers: enseignant, directeur (avec le peintre Raquel) des éditions Orange Export Ltd, responsable du département de littérature contemporaine de l’ARC au musée d’Art moderne de la ville de Paris. En 1989, il crée un Bureau sur l’Atlantique, destiné à faire connaître en France les poètes américains contemporains, et à créer des échanges de part et d’autre de l’Atlantique. Emmanuel Hocquard est également traducteur de Charles Reznikoff, Fernando Pessoa, Antonio Cinesros, Michaël Palmer entre autres.
Il se revendique d’une «modernité négative». Au contraire des Poètes (qui revendiquent volontiers la majuscule), les poètes
«mineurs», selon Hocquard, recherchent «une poésie sans accent poétique, aussi sèche qu’une biscotte sans beurre». Il définit donc la poésie par une série d’éliminations, activité de «nettoyage» de sa propre langue et d’«élucidation» de sa pensée. Contre les stéréotypes, les poncifs ou le lyrisme, Hocquard pratique une écriture minimaliste. Il neutralise tout épanchement du moi pour développer des récits poétiques qui s’imposent au regard, à l’oreille et à la sensibilité, non par les
images, mais par un travail sur les mots, leur agencement, les points de vue.